LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LE DÉFI-HYDRIQUE EN PÉRIODE DE MUTATIONS CLIMATIQUES, ÉCONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES
L’Afrique, zone centrale du changement climatique, lutte contre une véritable catastrophe. Parmi ses répercussions, l’augmentation continue de la température moyenne et la sécheresse due à la baisse des précipitations qui menacent cruellement la sécurité hydrique du continent ainsi que ses systèmes écologiques fortement dépendants. Ces derniers sont d’autant plus capitaux, car permettant la production, la distribution et la consommation de la nourriture, l’énergie et l’eau. Maintenant que les ressources en eau sont devenues moins abondantes, mais beaucoup plus sollicitées, il est désormais primordial de soigner sa gestion et rationaliser son exploitation. La guerre russo-ukrainienne a rudement inversé les équilibres, déjà vulnérables, de la sécurité alimentaire mondiale, accompagnée de tensions inflationnistes extrêmement préoccupantes. Aujourd’hui, l’Afrique produit des denrées alimentaires qu’elle consomme et qu’elle exporte dans le monde entier. Les publications de la CNUCED, conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, ont grandement relayé “la grande dépendance de l’Afrique aux importations alimentaires” estimée à hauteur de 85% de sa consommation datant de la période 2016-2018. La facture se chiffrerait, selon ces dires, à 35 milliards de dollars annuellement et 110 milliards de dollars en 2025. Finalement, la dépendance de l’Afrique aux importations alimentaires calculée n’est que de l’ordre de 15 à 20%. Selon une analyse approfondie des chiffres effectuée par M.
Jacques Berthelot, un économiste français. La part des importations extra-africaines dans la valeur de la consommation alimentaire du continent était de 18%, abstraction faite des exportations (composée de produits peu consommés par la population locale tels que le cacao) et de 6% si ces exportations sont intégrées dans le calcul (soit importations nettes). La région de l’Afrique du Nord est, elle, plus dépendante aux importations alimentaires avec une part de 29% (sans exportations de produits agricoles) et 20% (exportations inclues). L’Afrique subsaharienne, de respectivement 13% et 7%. Grâce aux exportations de cacao, l’Afrique de l’Ouest est même excédentaire. La valeur de 85% paraît donc aberrante. Néanmoins, malgré les avancées de l’agriculture africaine, la production par tête d’habitant a stagné, voire baissé. En réalité, les importations sont limitées à cause de la pauvreté qui freine la consommation des ménages africains. Le pire est que la sous-alimentation gagne du terrain en Afrique, et la crise sanitaire n’a pas arrangé la situation. Ajouté à cela la guerre en Ukraine qui a mis à mal les exportations de blé vers l’Afrique et le reste du monde. Qu’en est-il des autres facteurs qui limitent le développement de l’agriculture africaine, en l’occurrence le changement climatique? Face à la pénurie d’eau induite par le changement climatique, le continent se mobilise en urgence pour mettre en place diverses alternatives résistantes à la sécheresse. En effet, l’Afrique a souffert entre 2000 et 2019 de 134 sécheresses, plus fréquemment que tout autre continent. Aujourd’hui, les catastrophes naturelles en Afrique riment avec hausse des importations alimentaires de première nécessité. Pour réduire cette dépendance, l’agriculture et l’utilisation des terres sont priorisées par de nombreux pays. L’objectif est d’assurer son autosuffisance agricole et d’améliorer la sécurité alimentaire des pays africains. Pourtant, le potentiel de l’Afrique est immense. Le continent possède 60% des terres arabes non exploitées au monde. Dans des conditions climatiques optimales, l’Afrique n’a pas besoin d’importations alimentaires et pourrait même nourrir la planète. L’essor de la production agricole et de facto la sécurité alimentaire est lié à la disponibilité de l’eau et à l’irrigation. Mais la réalité est autre. En Afrique, lorsque les infrastructures d’irrigation existent, elles bénéficient surtout aux entreprises privées pour les plantations dédiées aux cultures d’exportation. Les paysans et les communautés locales vivant dans les terres arides sont impactés par cette main mise sur l’eau qui réduit les pâturages disponibles et bloquent l’agriculture de décrue. Des dizaines de milliers d’hectares de terres irrigables et de ressources en eau disponibles sont promus par les pays africains pour attirer des investisseurs agricoles pour l’export. Qu’en est-il de la souveraineté alimentaire du continent ?
Selon le rapport “la reconquête de la souveraineté alimentaire en Afrique” publié en septembre 2021 par l’institut Jean-Jaurès, l’agriculture africaine doit se baser sur les communautés rurales, y compris les paysans écartés jusque-là des ressources hydriques. Ces derniers joueront un rôle capital dans l’intégration de la jeunesse rurale dans les métiers de l’agriculture. L’autonomisation des femmes en milieu rural grâce à leur insertion professionnelle ainsi que la connexion du secteur agricole avec les grandes villes en développement équipées d’aires alimentaires métropolisées pourrait aider l’agriculture africaine à croître. Et pour que l’essor soit durable, le rapport propose que l’agriculture africaine mise aussi sur le développement de l’agroécologie via des semences améliorées, des méthodes de revitalisation des sols, mais aussi l’agroforesterie et l’agriculture-élevage, sans omettre l’amélioration de l’organisation et l’accès aux marchés locaux. Mais c’est l’amélioration de la productivité du travail agricole qui reste l’enjeu de taille pour l’agriculture africaine. Les petits producteurs restent emprisonnés dans la pauvreté à cause des faibles rendements. La non-implication de certains dirigeants africains dans son développement, considérant encore l’agriculture comme un secteur social au même titre que l’éducation et la santé, ne permet pas de la hisser au rang de secteur économique. Il est donc primordial d’accroître les rendements de manière soutenable pour l’environnement grâce à l’agroécologie. Cela ne permettra d’augmenter les rendements qu’à moyen terme, mais de manière durable.
Cependant, ce qui pourrait freiner cette tentative, c’est la hausse de la population rurale qui engendre la baisse de la surface disponible par actif agricole, ralentissant l’élargissement des fermes. Malgré cela, les prémices d’une révolution agricole africaine sont palpables. La BAD (Banque Africaine de développement) investit dans des agropoles qui transforment la récolte des agriculteurs et créent de la valeur ajoutée et des emplois. D’ailleurs, en juillet 2022, la BAD vient d’annoncer le déblocage de 27,41 millions de dollars supplémentaires pour la phase 2 de son activité agricole phare “Technologies pour la transformation de l’agriculture africaine”. L’objectif est d’augmenter, dans 36 pays à faible revenu à l’horizon 2025, la productivité et les revenus des ménages agricoles grâce à l’introduction de technologies résilientes au climat.
Au-delà du financement, des politiques publiques ambitieuses doivent accompagner ces plans budgétaires ambitieux. La volonté du secteur privé ne garantit pas seule la transformation d’un système alimentaire. La sécheresse et le stress hydrique dont pâtit l’Afrique sont des problèmes aggravants que les États africains espèrent résoudre grâce au lobbying. En effet, lors du sommet des Nations Unies sur les effets dévastateurs des trois D : sécheresse (drought), désertification et dégradation des sols, de nombreux pays africains ont plaidé en faveur d’un accord mondial à l’instar du protocole de Kyoto pour réduire les émissions de carbone. Néanmoins, cela n’a pas abouti, car la sécheresse était considérée jusque-là comme un problème propre à l’Afrique. Considérant les sécheresses comme étant alimentées par le changement climatique, seule une action mondiale peut changer la donne dans ce cycle infernal. La sécheresse a pourtant frappé une bonne partie de l’Europe l’été dernier et devient une préoccupation mondiale considérée comme une conséquence du réchauffement climatique. Pour les États africains, seule la mise en place d’un instrument juridiquement contraignant permettrait d’aider les communautés vulnérables à devenir résilientes. En attendant, l’Afrique reste un continent dont une bonne partie de la superficie est aride (constituée de déserts et de terres arides). Selon les Nations Unies, La désertification a touché 45% des terres en Afrique. La dégradation des sols a malheureusement atteint 65% des terres agricoles dont la productivité a nettement diminué. De plus, l’utilisation non durable des terres à des fins agricoles et l’accroissement de la production alimentaire contribuent grandement à la dégradation des sols. En outre, la déforestation de l’Afrique continue, chaque année, 4 millions d’hectares de forêts disparaissent. Cette tendance dépasse celle de la perte de la forêt Amazonienne.
La forêt tropicale, deuxième plus grande au Monde, est la plus durement touchée par ce phénomène. Ce poumon du continent ayant un rôle capital pour le captage de CO2 est malmené par les coupes d’arbres qui se sont accentuées dans les années 2000 au point d’atteindre 30% de la superficie de la forêt tropicale sujette à déforestation, soit 600 000 Km2 en 2007. La problématique environnementale dont souffre l’Afrique est une réalité, et la pénurie d’eau s’ajoute aux diverses catastrophes du continent. D’après les estimations, 400 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable de base en Afrique subsaharienne. Et l’eau est inégalement répartie sur le territoire. Au total, 14 pays africains sont menacés de grave stress hydrique. 80% des personnes privées d’accès à l’eau potable vivent en Afrique. Et pour trouver de l’eau, un africain sur deux parcourt 10 Km par jour. À quand une équité dans l’accès à l’eau et aux denrées alimentaires pour tous les africains ?
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"La gestion de l'eau est essentielle pour la sécurité alimentaire au Maroc. Nous devons investir dans des projets de conservation de l'eau et de modernisation des infrastructures pour garantir un accès équitable et durable à l'eau pour tous."
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